Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 7 décembre 2016, 15-87.494, Inédit
Cour de cassation – Chambre criminelle
- N° de pourvoi : 15-87.494
- ECLI:FR:CCASS:2016:CR05480
- Non publié au bulletin
- Solution : Cassation partielle
Audience publique du mercredi 07 décembre 2016
Décision attaquée : Cour d’appel d’Agen, du 23 novembre 2015
PrésidentM. Guérin (président)Avocat(s)SCP Waquet, Farge et Hazan
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
– La société Alep 33 venant aux droits des sociétés Alep Soulac, Semp, Sourdis,
– La société Compagnie C super venant aux droits de la société C-D I O,
– La société Compagnie C-ouest,
– La société Coccideran,
– La société Coccilescure venant aux droits de la société Coccigallieni,
– La société Libourne et Primeurs,
– La société Maya discount,
– La société Distribution casino France venant aux droits de la société Cateldoc, parties civiles,
contre l’arrêt de la cour d’appel d’AGEN, chambre correctionnelle, en date du 23 novembre 2015, qui, sur renvoi après cassation (Crim, 22 janvier 2014 n° 12-87. 966) dans la procédure suivie contre M. Patrick X… des chefs d’abus de confiance, faux et escroquerie, a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 26 octobre 2016 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, Mme Zerbib, conseiller rapporteur, M. Soulard, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Guichard ;
Sur le rapport de Mme le conseiller ZERBIB, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général GAILLARDOT ;
Vu le mémoire produit ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que, définitivement reconnu coupable des infractions d’abus de confiance, faux et escroqueries commises alors qu’il était président-directeur général d’une société-mère d’un groupe familial de sociétés, M. X… a été notamment condamné à payer diverses sommes à ces dernières constituées parties civiles, certaines de leurs demandes ayant été réservées dans l’attente des résultats d’une contre-expertise comptable que la cour d’appel a ordonnée
En cet état :
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 313-1, 314-1 et 441-1 du code pénal, 1382 du code civil, 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale, du principe de la réparation intégrale du préjudice, défaut de motif, manque de base légale ;
» en ce que l’arrêt attaqué a déclaré mal fondées les demandes au titre des frais divers formées par les sociétés C-Ouest, la société Alep 33, laquelle vient aussi au droit des sociétés Alep Soulac, Semp, Sourdis, la société Libourne et Primeurs, la société Maya Discout et les en a déboutées ;
» aux motifs propres que la société C-OUEST sollicite la somme totale de 18 299, 17 euros ; que cette somme se décompose de la manière suivante : elle comprend les frais divers jusqu’au 31 mars 2012 à concurrence de 13 237, 43 euros, puis les frais divers depuis cette date pour un montant de 5 061, 74 euros ; que l’expertise comptable a retenu la somme totale de 13 237, 43 euros, incluant les honoraires afférents aux litiges avec les banques, le contentieux X…, ainsi que les frais d’actes et de contentieux ; que ces honoraires concernent de nombreuses procédures civiles et commerciales, engagées selon la partie civile « consécutivement aux agissements de M. Patrick X… » pour la préservation et l’exercice de ses droits et sont constitués essentiellement de frais et honoraires d’avocat exposés à l’occasion d’instances distinctes de la procédure pénale ; qu’à l’examen de ces pièces, celles-ci s’avèrent constituées par des notes d’honoraires d’avocat, de frais d’huissier ou d’avoué, sans autre indication que celle des défendeurs à l’instance engagée, comme la Caisse d’Epargne, la société civile immobilière de Lontade, le cabinet d’études Lataste Vion, ou des états de frais, sans autre précision ; que pour ce qui concerne par exemple les procédures intervenues postérieurement à l’expertise comptable, entre le 1er avril 2012 et le 1er octobre 2014, selon le tableau récapitulatif dressé par Maître Z…, sont versées les décisions judiciaires suivantes : les voies d’exécution exercées sur les biens des époux X…, à la suite du jugement correctionnel du 31 janvier 2011 et la référence aux sommes allouées à titre provisionnel aux différentes parties civiles ; que les actions dirigées à l’encontre de M. X… au titre de chèques émis à l’ordre de la société Tout Service, la société New York Stalingrad et la société civile immobilière de Lontrade aux fins de remboursement de « détournements qualifiés de supplémentaires » ; que l’assignation en responsabilité contre Mme X… et la société civile immobilière de Lontade ; que l’action en référé visant à donner force exécutoire au protocole du 3 avril 2009, laquelle a été rejetée par la cour d’appel de Bordeaux, de même que le pourvoi formé devant la Cour de cassation ; que la défense à assignation au fond, en nullité et résolution du protocole du 3 avril 2009, portant mention de l’engagement de caution hypothécaire de la société civile immobilière de Lontade, représentée par son gérant M. X… ; que la défense à assignation au fond aux fins de contestation de l’autorité de chose jugée de l’ordonnance du 6 septembre 2010, et contestation de la force exécutoire conférée au protocole précité ; que ces différentes instances, dont l’objet pour bon nombre d’entre elles, reste indéterminé, et réduite à la production de simples notes d’honoraires ou de frais concernent notamment l’épouse de M. X…, la société civile immobilière de Lontrade, la société Tout Service, le Cabinet Danjou conseil notamment, lesquelles n’ont fait l’objet d’aucune poursuite pénale ; qu’or, il résulte des articles 2 et 3 du code de procédure pénale, que l’action civile en réparation du dommage causé par l’infraction ne peut être exercée devant la juridiction pénale en même temps que l’action publique, que pour les chefs de dommages, découlant des faits qui sont l’objet de la poursuite ; que faute de justifier de l’existence d’un lien certain et direct avec les détournements retenus par la cour d’appel de Bordeaux, à l’encontre de M. X…, ces notes de frais divers ne peuvent être retenues au titre d’un préjudice né directement de l’infraction ou des faits, objets de la poursuite pénale ; qu’en tout état de cause, les sommes sollicitées correspondent essentiellement à des frais de procédure et d’honoraires d’avocats exposés à l’occasion d’instances distinctes de la procédure pénale, sans indication précise du lien les rattachant directement aux infractions reprochées au prévenu ; que ces frais et honoraires ont été retenus à tort dans l’expertise comptable, étant observé que sur le plan des principes, les honoraires d’avocat, les frais de contentieux précités relèvent d’une réclamation de nature indemnitaire, fondée sur l’article 475-1 du code de procédure pénale par exemple ; que les frais en question ne peuvent être en tout état de cause retenus comme constitutifs d’un préjudice complémentaire, faute pour les sociétés parties civiles de prouver qu’ils se rattachent directement aux infractions, dont M. X… a été déclaré coupable ; la société C-Ouest, doit par conséquent être déboutée de l’ensemble de ses demandes ; que pour le préjudice subi par Alep 33, la somme réclamée au titre des frais divers est restée identique, à savoir la somme de 1709, 74 euros ; que cette somme est constituée des notes d’honoraires d’avocat et d’huissier, frais exposés au titre de l’instance dirigée contre la CA Touraine Poitou, devant le tribunal de commerce de Poitiers, sans autre précision et sans pièces justificatives ; qu’or, il résulte des articles 2 et 3 du code de procédure pénale, que l’action civile en réparation du dommage causé par l’infraction, ne peut être exercée devant la juridiction pénale en même temps que l’action publique que pour les chefs de dommages découlant des faits qui sont l’objet de la poursuite ; que, faute de justifier de l’existence d’un lien certain et direct avec les détournements retenus par la cour d’appel de Bordeaux à l’encontre de M. X…, ces notes de frais divers ne peuvent être retenues au titre d’un préjudice né directement de l’infraction ou des faits, objets de la poursuite pénale ; qu’en tout état de cause, les sommes sollicitées correspondent essentiellement à des frais de procédure et d’honoraires d’avocats, exposés à l’occasion d’instances distinctes de la procédure pénale, sans indication précise du lien les rattachant directement aux infractions reprochées au prévenu ; que ces frais et honoraires ont été retenus à tort dans l’expertise comptable, étant observé que sur le plan des principes, les honoraires d’avocat, les frais de contentieux précités relèvent d’une réclamation de nature indemnitaire, fondée sur l’article 475-1 du code de procédure pénale par exemple ; que pour la société Maya Discount, les frais divers sont des frais de greffe et des honoraires d’avocat dans le cadre de l’assignation dirigée contre la caisse d’épargne, que l’expert a admis au titre des contentieux bancaires ; que la société Maya Discount a complété sa demande au titre des frais contentieux de 598 euros supplémentaires, pour les frais engagés postérieurement à l’expertise ; que les justificatifs produits sont constitués d’un mémoire de frais et honoraires dressé le 3 avril 2012 dans les intérêts de la société C Ouest et Maya Discount, à l’encontre de la Caisse d’épargne, sans autre précision ; qu’or, il résulte des articles 2 et 3 du code de procédure pénale, que l’action civile en réparation du dommage causé par l’infraction ne peut être exercée devant la juridiction pénale en même temps que l’action publique, que pour les chefs de dommages découlant des faits qui sont l’objet de la poursuite ; que faute de justifier de l’existence d’un lien certain et direct avec les détournements retenus par la cour d’appel de Bordeaux, à l’encontre de M. X…, ces notes de frais divers ne peuvent être retenues au titre d’un préjudice né directement de l’infraction ou des faits, objets de la poursuite pénale ; que ces frais et honoraires ont été retenus à tort dans l’expertise comptable, étant observé que sur le plan des principes, les honoraires d’avocat, les frais de contentieux précités relèvent d’une réclamation de nature indemnitaire, fondée sur l’article 475-1 du code de procédure pénale par exemple ; qu’en tout état de cause, les sommes sollicitées correspondent essentiellement à des frais de procédure et d’honoraires d’avocats exposés à l’occasion d’instances distinctes de la procédure pénale, sans indication précise du lien les rattachant directement aux infractions reprochées au prévenu ;
» et aux motifs adoptés des premiers juges, que M. X… est prévenu d’avoir sur le territoire national, en Gironde, à Bordeaux, à Mérignac, depuis temps non prescrit,- entre le 1er novembre 2002 et le 27 mars 2008, détourné des fonds, valeurs ou biens quelconques tel que retracé dans le tableau A joint, qui lui avaient été remis et qu’il avait acceptés à charge de les rendre ou représenter et/ ou d’en faire un usage déterminé, et ce au préjudice des sociétés C Dio, C Ouest, Casteldoc et ce, dans le cadre de l’exécution d’un contrat de prestation de services le liant en qualité d’entrepreneur individuel à la société mère des sociétés victimes, la société Compagnie C Super, faits prévus et réprimés par l’article 314-1 du code pénal ;
– courant 2008, par quelque moyen que ce soit, altéré frauduleusement la vérité d’un écrit destiné à établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques, en l’espèce en falsifiant un document bancaire de la SBCIC attestant faussement de l’existence de placements à terme à la date indiquée, le 30 juin 2008, faits prévus et réprimés par l’article 441-1 du code pénal ;- entre le 28 mars 2008 et le 30 juin 2009, en employant des manoeuvres frauduleuses, en particulier en produisant de faux documents à l’appui de l’enregistrement d’écritures comptables (faux document bancaire, talons de chéquiers faussement renseignés, indication de faux bénéficiaires de virements opérés par internet, …) en abusant de la qualité vraie de représentant légal de la société Danjou Conseil, directeur général de la compagnie C Super (en particulier en abusant de l’accès aux moyens de paiement de ladite société et des filiales, sur lesquels il détenait une délégation de signature bancaire …) trompé les sociétés Alep 33, Alep Soulac, Couest, C Super, Coccideran, Coccigallieni, Coccilescure, Langon Service, Libourne et Primeurs, Maya Discount, Semp, Sourdis, pour les déterminer à remettre des fonds, valeurs ou biens quelconques tels que retracés dans le tableau B joins, faits prévus et réprimés par l’article 313-1 du code pénal ; que M. X… ne conteste pas les faits qui lui sont reprochés ; que le modus operandi a pris diverses formes, toutes reconnues : faux chèques à son profit, chèques à de vrais fournisseurs encaissés sur ses comptes, virements bancaires, chèques de banque, « camouflés » grâce au compte fournisseur Casino, qu’il était le seul à maîtriser, renfloué lors de la rupture des relations commerciales par « l’asséchement » du compte à terme du groupe ; que dans un second temps, il y aura imputation des chèques et virements frauduleux à des bénéficiaires plausibles, et des opérations de cavalerie interdisant la vérification en temps réel de la réciprocité et de la véracité des comptes ; que les sociétés et les emplois ont été mis en péril, ces agissements ayant eu pour but le développement du patrimoine personnel du prévenu ; que le prévenu sera ainsi déclaré coupable des faits reprochés ;
» alors que la partie civile dont l’action civile en réparation du dommage causé par l’infraction, a été déclarée recevable, doit obtenir réparation de tous les préjudices, aussi bien matériels que corporels ou moraux découlant des faits objets de la poursuite ; que tous les frais qui n’auraient pas été exposés, si les faits objets de la poursuite n’avaient pas été commis doivent ainsi être indemnisés ; qu’en l’espèce, découlent des faits de détournement dont M. X…, a été reconnu coupable, les frais de procédure et les honoraires d’avocat exposés par les victimes pour mettre en évidence ces détournements puis pour y remédier, en prenant des garanties, diligentant des mesures d’exécution forcée et défendre aux actions judiciaires engagées par M. X… et son épouse pour préserver leur patrimoine frauduleusement acquis, tous actes rendus nécessaires uniquement parce que les détournements ont été commis ; qu’en déboutant cependant les victimes, parties civiles, de leurs demandes de réparation de ce préjudice, la cour d’appel a méconnu les textes et principes » ;
Attendu que, pour rejeter les demandes des parties civiles tendant à l’allocation, comme réparation du dommage issu des détournements, de diverses sommes qu’elles ont exposées au titre de » frais divers « , l’arrêt énonce que ces dépenses étaient essentiellement constituées par des honoraires d’avocats réglés à l’occasion d’instances distinctes de la procédure pénale dont l’objet reste indéterminé ou dont le lien direct avec les infractions n’a pas été établi ;
Attendu qu’en l’état de ces motifs, la cour d’appel a justifié sa décision ;
D’où il suit que le moyen doit être écarté ;
Mais sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 4 et 1382 du code civil, 6. 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, 153 du code de procédure civile, 461, 464, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motif, manque de base légale ;
» en ce que l’arrêt attaqué a ordonné une contre-expertise comptable sur les demandes formées par la société C Super, en son nom et en ce qu’elle vient aux droits de la société C-Dio, a sursis à statuer sur les demandes des parties civiles formées au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale et a réservé les dépens ;
» aux motifs que la cour ordonne une contre-expertise comptable, laquelle aura pour objet de déterminer à partir de tous les documents comptables et justificatifs nécessaires, s’il peut être établi un lien de causalité entre les détournements réalisés par M. X…, ainsi qu’ils ont été fixés de manière définitive en ce qui concerne le préjudice principal subi par les parties civiles, et les avances réalisées par la société C Super au bénéfice des autres sociétés, victimes de ces détournements ; que dans l’affirmative, l’expert en précisera les éléments financiers ; que l’expert évaluera avec précision l’étendue du dommage subi, au titre des « préjudices complémentaires » sollicités, et notamment le cumul éventuel des frais bancaires avec l’absence de produits financiers en ce qui concerne la société C Super. L’expert aura pour la bonne exécution de sa mission, accès à tous les documents recueillis lors de la procédure pénale et à tous les justificatifs comptables nécessaires, y compris les comptes consolidés dans les conditions prévues au dispositif ; qu’il doit être par conséquent, sursis à statuer sur l’ensemble des demandes formées par la société C Super (arrêt, p. 9) ; (…) que les sociétés Coccigallieni, Coccilescure et la société Distribution Casio France, laquelle vient aux droits de la société Casteldoc, de même que chacune des six autres parties civiles, sollicitent le paiement d’une indemnité de 5 500 euros au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale, ainsi que la condamnation de M. X… aux entiers dépens, en ce compris le coût de l’expertise comptable et non indemnisé par la cour de Bordeaux soit 4 712, 65 euros ; qu’au regard de la contre-expertise comptable ordonnée en ce qui concerne les demandes formées par la société C Super, il sera sursis à statuer sur les demandes formées au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale ainsi que sur les dépens, et notamment le coût de l’expertise comptable diligentée ;
» alors que les juges ne sauraient, sans interrompre le cours de la justice, ordonner un sursis à statuer d’une durée indéterminée ; qu’en ordonnant une expertise comptable sur les demandes indemnitaires formées par la société C-Super, sursoyant de ce fait à statuer sur ces demandes ainsi que sur celles formées par les parties civiles au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale et sur les dépens, sans fixer le terme à l’issue duquel l’affaire serait à nouveau appelée, la cour d’appel a interrompu le cours de la justice et méconnu ce principe » ;
Vu les articles 4 du code civil, 6. 1 de la Convention européenne des droits de l’homme et 461 du code de procédure pénale ;
Attendu que les juges ne sauraient, sans interrompre le cours de la justice, ordonner un sursis à statuer d’une durée indéterminée ;
Attendu que le juge correctionnel, lorsqu’il ordonne, après avoir statué sur l’action publique, une mesure d’instruction aux fins d’évaluation des dommages-intérêts, doit fixer la date de l’audience à laquelle il sera statué sur l’action civile dont il est saisi ;
Attendu que la cour d’appel a ordonné une contre-expertise comptable sans fixer la date de l’audience à laquelle il serait statué sur les demandes qu’elle a réservées ;
Mais attendu qu’en prononçant ainsi, sans fixer le terme à l’issue duquel l’affaire serait à nouveau appelée, la cour d’appel a méconnu le principe ci-dessus énoncé ;
Que, dès lors, la cassation est encourue de ce chef ;
Et sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 1382 du code civil, 143 et 232 du code de procédure civile, 10 alinéa 2, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motif, manque de base légale, dénaturation ;
» en ce que l’arrêt attaqué a ordonné une contre-expertise comptable sur les demandes formées par la société C Super, en son nom et en ce qu’elle vient aux droits de la société C Dio, et a donné mission à l’expert judiciaire de déterminer, connaissance prise des pièces de la procédure pénale et de tous documents comptables et justificatifs nécessaires, s’il peut être établi un lien de causalité direct entre les détournements réalisés par M. X…, ainsi qu’ils ont été fixés de manière définitive en ce qui concerne le préjudice principal subi par les parties civiles, et les avances réalisées par la société C Super au bénéfice des autres sociétés victimes de ces détournements ;
» aux motifs que la société C Super en son nom mais également en ce qu’elle vient aux droits de la société C Dio sollicite les sommes suivantes : au titre des agios bancaires, sont réclamés les agios calculés jusqu’au 31 mars 2012 pour la somme de 220 438, 47 euros + les agios du 31 mars 2012 au 31 décembre 2014 pour 226 151 euros, soit une somme globale de 442 589, 47 euros ; au titre de la perte de produits financiers, jusqu’au 31 mars 2012 est réclamée la somme de 782 314, 09 euros et celle de 74 388 euros du 31 mars 2012 au 31 décembre 2014, soit une somme globale de 556 702, 09 euros ; au titre des frais divers, jusqu’au 31 mars 2012 la somme de 122 324, 24 euros est sollicitée, somme à laquelle s’ajoute 72 952, 17 euros au titre des frais contentieux et intervention du cabinet comptable Aprim ; au titre du préjudice commercial (abusivement appelé indirect) admis par l’expert, la somme de 250 000 euros est sollicitée au regard du désordre et des nombreux problèmes générés pour un groupe de petite taille, étant précisé que l’expert a réservé son avis au motif que dans la réparation du préjudice direct, il a fait produire des intérêts à la trésorerie disponible, telle que reconstituée sans les détournements de M. X… ; au total, la compagnie C Super sollicite la somme de 1 448 568 euros ; que l’expertise comptable a retenu la somme globale de 825 076, 80 euros constitués notamment de 220 438, 47 euros d’agios bancaires et de 482 314, 09 euros au titre de l’absence de produits financiers ; que dans son raisonnement, l’expert a estimé que la société C super qui assurait la trésorerie de l’ensemble des sociétés, avait subi la quasi-totalité du préjudice financier, incluent l’absence de produits financiers sur les sommes déterminées, sachant les participations détenues par cette société au sein de la société C Dio, C Ouest, Casteldoc, Coccideran, Maya Discount, et pour 75 % au sein de la société Libourne et primeurs ; que se référant à un courrier adressé par le cabinet d’expertise comptable Aprim, le 7 janvier 2011, le 7 janvier 2011, lequel préconisait de retenir à la fois « le gain manqué » du fait de la non rémunération des sommes détournées et les agios bancaires payés sur découverts, l’expert estimait qu’il y avait une possibilité évidente de double emploi (voir page 43 du rapport d’expertise) ; que la cour constate que l’expertise a néanmoins retenu ce cumul (page 44) étant observé que certaines sociétés ne sont pas filiales de la société C Super, le financement des filiales aurait atteint un montant de 2 502. 000 euros au 30 juin 2009 au profit des sociétés C Ouest, Libourne et Primeurs, Maya Discount dont 806 000 euros pour des sociétés apparentées, non désignées, l’expert n’a pas eu communication des comptes consolidés, les comptes des entreprises spoliées n’ont été communiqués que pour 3 d’entre elles (page 27 du rapport) ; qu’au regard notamment de l’appréciation de l’expert en ce qui concerne la corrélation qu’« il ne peut pas ne pas constater entre les détournements commis par M. X… et les avances consenties à ses filiales », une contre-expertise s’impose afin d’en vérifier la matérialité et de rechercher, dans l’affirmative, si celle-ci présentent un lien direct et certain avec les agissements délictueux pour lesquels M. X… a été reconnu coupable par jugement du tribunal correctionnel de Bordeaux du 31 janvier 2011, ce jugement étant devenu définitif ; que la cour ordonne par conséquent une contre-expertise comptable, laquelle aura pour objet de déterminer à partir de tous les documents comptables et justificatifs nécessaires, s’il peut être établi un lien de causalité entre les détournements réalisés par M. X…, ainsi qu’ils ont été fixés de manière définitive en ce qui concerne le préjudice principal subi par les parties civiles, et les avances réalisées par la société C Super au bénéfice des autres sociétés, victimes de ces détournements ; que dans l’affirmative, l’expert en précisera les éléments financiers ; que l’expert évaluera avec précision l’étendue du dommage subi, au titre des « préjudices complémentaires » sollicités, et notamment le cumul éventuel des frais bancaires avec l’absence de produits financiers en ce qui concerne la société C Super ; que l’expert aura pour la bonne exécution de sa mission, accès à tous les documents recueillis lors de la procédure pénale et à tous les justificatifs comptables nécessaires, y compris les comptes consolidés dans les conditions prévues au dispositif ; qu’il doit être par conséquent sursis à statuer sur l’ensemble des demandes formées par la société C Super ;
» 1°) alors, qu’une mesure d’instruction ne peut avoir pour objet que d’éclairer le juge sur une question de fait, et ne peut emporter délégation du pouvoir juridictionnel de qualifier les faits et d’appliquer le droit ; qu’en donnant cependant pour mission à l’expert judiciaire, qu’elle a désigné de déterminer si un lien de causalité direct peut être établi entre les détournements réalisés par M. X… et les avances réalisées par la société C-Super, et dans l’affirmative, de chiffrer le dommage subi par la société C-Super, la cour d’appel a délégué son pouvoir juridictionnel à l’expert et commis un excès de pouvoir ;
» 2°) alors que le juge ne peut dénaturer les pièces du dossier ; que, pour ordonner la contre-expertise litigieuse, la cour d’appel a relevé que l’expert judiciaire estimait, en ce qui concerne à la fois le gain manqué du fait de la non rémunération des sommes détournées et les agios bancaires payés sur découverts, qu’il y avait une possibilité évidente de double emploi (rapport d’expertise p. 43) mais qu’il a néanmoins retenu ce cumul (page 44) ; qu’il résulte cependant du rapport d’expertise judiciaire que pour éviter le risque de double emploi, l’expert a retenu qu’« en l’absence de détournement, les parties civiles n’auraient pas payé d’agios bancaires et le surplus de la trésorerie détournée aurait généré des produits financiers » (rapport, p. 45 et p. 49) et qu’il n’a déterminé les produits financiers sur les sommes détournées que pour celles n’ayant pas donné lieu à un découvert bancaire générateurs d’agios ; qu’en se fondant sur un prétendu cumul retenu par l’expert des agios et de la non rémunération des sommes détournées pour statuer comme elle l’a fait, la cour d’appel a dénaturé les pièces du dossier » ;
Vu les articles 232 du code de procédure civile et 10 alinéa 2 du code de procédure pénale ;
Attendu qu’il résulte de ces textes que le juge correctionnel, statuant sur intérêts civils, ne peut commettre un expert, auquel il ne saurait déléguer son pouvoir juridictionnel, qu’afin d’être éclairé sur des aspects techniques ou de fait ;
Attendu que la cour d’appel a ordonné une contre-expertise comptable confiant pour mission à l’expert qu’elle a désigné de déterminer s’il peut être établi un lien de causalité direct entre les détournements dont M. X… a été déclaré coupable, tels que définitivement fixés s’agissant du préjudice principal subi par les parties civiles, et les avances consenties par la société C-Super au bénéfice des autres sociétés victimes de ces malversations ;
Mais attendu qu’en se déterminant ainsi, la cour a méconnu les textes visés aux moyens ;
D’où il suit que la cassation est à nouveau encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE l’arrêt susvisé de la cour d’appel d’Agen, en date du 23 novembre 2015, mais en ses seules dispositions ayant ordonné une contre-expertise comptable, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu’il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Pau à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n’y avoir lieu à application de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel d’Agen et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept décembre deux mille seize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.